Albert EINSTEIN (Ulm, 1879 ­ Princeton, 1955), physicien et mathématicien allemand, naturalisé suisse en 1900, puis américain en 1940.
Il a édifié une théorie générale de l’Univers, la Relativité, qui s’est imposée pour expliquer de nombreux phénomènes observés à l’échelle atomique ou astronomique: Relativité restreinte (1905), Relativité généralisée (1916). La relation d’Einstein, E = mc²  est à l’origine de la libération de l’énergie nucléaire. 

Les persécutions raciales le poussèrent à soutenir l’action du mouvement sioniste, tout en récusant l’idée d’un État religieux et en prônant la coopération entre juifs et arabes en Palestine. La montée du national-socialisme lui fit mesurer l’insuffisance du pacifisme face à un tel danger, et il prit aussitôt parti pour la lutte contre l’Allemagne nazie.  À la fin de la Seconde Guerre mondiale, devant le partage du monde en deux blocs antagonistes, et considérant le risque d’une nouvelle guerre qui pourrait signifier la destruction de l’humanité, Einstein reprit le bâton de pèlerin du pacifisme, plaidant pour un gouvernement mondial en ce qui concerne le pouvoir militaire, lançant avec Russell l’appel à la responsabilité sociale des scientifiques et en faveur du désarmement.

Prix Nobel de physique 1921. 

© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 1999
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A quoi bon les richesses?

Toutes les richesses du monde, fussent-elles entre les mains d’un homme totalement acquis à l’idée de progrès, ne permettront jamais le moindre développement moral de l’humanité. Seuls, des êtres humains exceptionnels et irréprochables suscitent des idées généreuses et des actions sublimes. Mais l’argent pollue toute chose et dégrade inexorablement la personne humaine. Je ne peux comparer la générosité d’un Moïse, d’un Jésus ou d’un Gandhi et la générosité d’une quelconque fondation Carnegie.

Comment supprimer la guerre

Einstein signa en 1941, avec Szilard, une lettre au président Roosevelt dans laquelle il attirait son attention sur le risque que l’Allemagne puisse se doter d’une arme atomique et sur la possibilité de la fabriquer. Ce n’est que plus d’une année après que fut fondé le laboratoire de Los Alamos, où la bombe atomique fut mise au point, avant d’être lancée en 1945 – contre l’avis de la plupart des scientifiques – sur Hiroshima et Nagasaki 
(© 1999 Encyclopædia Universalis France S.A)

Ma responsabilité dans la question de la bombe atomique se traduit par une seule intervention : j’ai écrit une lettre au Président Roosevelt. Je savais nécessaire et urgente l’organisation d’expériences de grande envergure pour l’étude et la réalisation de la bombe atomique. Je l'ai dit. Je savais aussi le risque universel causé par la découverte de la bombe. Mais les savants allemands s’acharnaient sur le même problème et avaient toutes les chances de le résoudre. J’ai donc pris mes responsabilités. Et pourtant je suis passionnément un pacifiste et je ne vois pas d’un oeil différent la tuerie en temps de guerre et le crime en temps de paix. Puisque les nations ne se résolvent pas à supprimer la guerre par une action commune, puisqu’elles ne surmontent pas les conflits par un arbitrage pacifique et puisqu’elles ne fondent pas leur droit sur la loi, elles se contraignent inexorablement à préparer la guerre. Participant alors à la course générale aux armements et ne voulant pas perdre, elles conçoivent et exécutent les plans les plus détestables. Elles se précipitent vers la guerre. Mais aujourd’hui la guerre s’appelle l’anéantissement de l’humanité.
Alors protester aujourd’hui contre les armements ne signifie rien et ne change rien. Seule la suppression définitive du risque universel de la guerre donne un sens et une chance à la survie du monde. Voilà désormais notre labeur quotidien et notre inébranlable décision : lutter contre la racine du mal et non contre les effets. L’homme accepte lucidement cette exigence. Qu’importe qu’on le taxe d’asocial ou d’utopique ?
Gandhi incarne le plus grand génie politique de notre civilisation. Il a défini le sens concret d’une politique et sut dégager en tout homme un inépuisable héroïsme quand il découvre un but et une valeur à son action. L’Inde, aujourd’hui libre, prouve la justesse de son témoignage. Or la puissance matérielle en apparence invincible de l’Empire britannique a été submergée par une volonté inspirée par des idées simples et claires.

Production et Travail

Je vois un vice capital dans la liberté presque illimitée du marché du travail parallèlement aux progrès fantastiques des méthodes de production. Pour correspondre effectivement aux besoins actuels, toute la main-d'œuvre actuellement disponible est largement inutile. D’où le chômage et la concurrence malsaine entre les salariés et, s’ajoutant à ces deux causes, la diminution du pouvoir d’achat et une asphyxie intolérable de tout le circuit vital de l’économie. 
Je sais que les économistes libéraux affirment qu’un accroissement des besoins compense toute diminution de main-d'œuvre. Sincèrement je ne le crois pas. Et même si c’était vrai, ces facteurs aboutiraient à ce qu’une grande partie de l’humanité voie anormalement diminuer son train de vie. 
Avec vous aussi je crois qu’il faut absolument veiller à ce que les jeunes puissent prendre part au processus de la production. Il le faut. Les vieux doivent être exclus de certains travaux – je nomme cela le travail sans qualification – et recevoir en compensation une certaine rente, puisque jadis, ils ont fourni, assez longtemps, un travail productif reconnu par la société. 
Moi aussi je suis pour la suppression des grandes villes. Mais je me refuse à voir établir une catégorie particulière de gens, par exemple les vieux, dans des villes particulières. Je déclare que cette pensée me paraît abominable. 
Il faut empêcher les fluctuations de la valeur de la monnaie, et, dans cette intention, remplacer l’étalon-or par une parité à base de quantités déterminées de marchandises, calquées sur les besoins vitaux, comme, si je ne me trompe, Keynes l’a depuis longtemps déjà proposé. Par la mise en place de ce système, on pourrait concéder un certain taux d’inflation à la valeur de l’argent pourvu qu’on estime l’État capable de faire un emploi intelligent de ce qui représente pour lui un véritable cadeau. 
Les faiblesses de votre projet se manifestent à mon avis dans l’absence d’importance accordée aux motifs psychologiques. Le capitalisme a suscité les progrès de la production mais aussi ceux de la connaissance, et ce n’est pas un hasard. L’égoïsme et la concurrence restent hélas plus puissants que l’intérêt général ou que le sens du devoir. En Russie on ne peut même pas obtenir un bon morceau de pain. Sans doute suis-je trop pessimiste sur les entreprises étatiques ou communautés similaires mais je n’y crois guère. La bureaucratie réalise la mort de toute action. J’ai vu et vécu trop de choses décourageantes même en Suisse, pourtant relativement un bon exemple. 
J’incline à penser que l’État peut être réellement efficace, en cadrant les limites et en harmonisant les mouvements du monde du travail. Il doit veiller à cantonner la concurrence des forces de travail dans les bornes humaines, à assurer à tous les enfants une éducation solide, à garantir un salaire assez élevé pour que les biens produits soient achetés. Par son statut de contrôle et de réglementation, l’État peut réellement intervenir, si ses décisions sont préparées par des hommes compétents et indépendants, en toute objectivité.

Pour la protection du Genre Humain

La découverte des réactions atomiques en chaîne ne constitue pas pour l’humanité un danger plus grand que l’invention des allumettes. Mais nous devons tout entreprendre pour supprimer le mauvais usage du moyen. Dans l’état actuel de la technologie, seule une organisation supra-nationale peut nous protéger, si elle dispose d’un pouvoir exécutif suffisant. Quand nous aurons reconnu cette évidence, nous trouverons alors la force d’accomplir les sacrifices nécessaires pour la sauvegarde du genre humain. Chacun de nous serait coupable si l’objectif n’était pas atteint à temps. Le danger consiste en ce que chacun, sans rien faire, attende qu’on agisse pour lui. Tout individu, avec des connaissances limitées ou même avec des connaissances superficielles fondées sur l’environnement technique, se sent tenu d’éprouver du respect pour les progrès scientifiques réalisés pendant notre siècle. On ne risque pas de trop exalter les réalisations scientifiques contemporaines, si on garde présents à l’esprit les problèmes fondamentaux de la science. Même chose que pendant un voyage en chemin de fer ! Observe-t-on le proche paysage, le train nous semble s’envoler. Mais observe-t-on les grands espaces et les grandes cimes, le paysage ne change que lentement. Il en est de même quand on réfléchit aux grands problèmes de la science. Il est sans intérêt à mon sens de discuter sur "our way of life" ou sur celle des Russes. Dans les deux cas un ensemble de traditions et de coutumes ne constitue pas un ensemble très structuré. Il est beaucoup plus intelligent de s’interroger pour connaître les institutions et les traditions utiles ou nuisibles aux hommes, bénéfiques ou maléfiques pour leur destin. Il faut alors tenter d’utiliser ainsi le meilleur désormais reconnu, sans se préoccuper de savoir si on le réalise actuellement chez nous ou ailleurs.